Ce n’était qu’une question de temps, et ce temps-là est venu.
Le Président Kaïs Saïd est passé second dans les sondages Sigma du mois en cours. C’est un énorme pavé dans la mer bleu calme de Carthage. Non: un tremblement! Et ça l’est d’autant plus que celui qui lui a ravi cette première place qu’il conservait haut la main depuis son élection et octobre 2019, n’est autre que Abdellattif Mekki, un nahdhaoui pur sucre.
On sait l’inimitié que voue Saïd pour Ennahda. Non point pour une quelconque opposition idéologique puisque le parti de Rached Ghannouchi avait appelé à voter pour lui lors de la dernière présidentielle, mais parce qu’il veut surfer sur la tendance des réseaux sociaux nettement défavorable aux islamistes. Il est évident que Saïd ne lâche pas Facebook et qu’il suit la vague pour développer un discours abstrait et indiscernable dans lequel il ne cesse de s’attaquer aux corrompus, aux voleurs et aux conspirateurs. Mais qui sont donc ces gens-là et pourquoi le Président ne les nommera-il pas, et surtout pourquoi ne les traduit-il pas devant la justice?
Tous les observateurs ont compris qu’il s’agit en fait d’une stratégie pour rester dans les grands idéaux et éviter le feu l’action. C’est un rôle plus proche d’un Imam que d’un chef d’Etat que celui choisi de jouer Kaïs Saïd, et ses interventions ressemblent plus à des prêches de vendredi qu’à des discours de la méthode. En bientôt deux ans à la tête du pays, le Président, professeur de droit de son état et toujours prompt à critiquer la Constitution, n’a pas proposé un seul projet de loi.
En perdant dix points dans les sondages, le Président tombe de très haut. Sa stratégie ne fonctionne plus, et les Tunisiens lui ont adressé un message au contenu très clair.
Les Tunisiens veulent plus d’action et moins de rhétorique, plus de décisions et moins de délibérations. Ils veulent un Président qui respecte les institutions de l’Etat et qui n’agit pas selon ses humeurs et caprices. Ils veulent un Président au-dessus de la mêlée, qui ne cherche pas à approfondir les divisions des Tunisiens mais qui dépense toute son énergie à les rassembler.
Jusque-là Kaïs Saïd n’a réussi qu’une chose: bloquer. Il a bloqué le gouvernement Mechichi. Il a bloqué la Cour constitutionnelle. Il a bloqué le Dialogue national. Ce blocage a créé une ambiance délétère propice à l’inaction et à la méfiance. L’aggravation de situation pandémique et la recrudescence de la violence ne sont peut-être que les premiers résultats de situation de blocage et de perturbation.
En le rétrogradant dans les sondages les Tunisiens viennent de mettre un carton jaune au Président Saïd. Désormais, il n’a plus le choix. Il doit assumer son rôle et agir. En commençant déjà par la mise en application de l’initiative de dialogue national proposée par l’UGTT depuis six mois.
Mohcen Lasmar