Il a pris une longueur d’avance sur ceux qui assument aujourd’hui la grave responsabilité de plonger le pays dans le chaos, la peur et le doute en les prenant par surprise et en les mettant devant le fait accompli. Autant Kaïs Saïd risque d’être rattrapé par le temps. Son indécision et l’attentisme qu’il est en train d’imposer depuis presque une semaine pourrait transformer la vague d’enthousiasme en questionnement, le coup d’éclat en déception. Le Président de la République ne semble pas prendre en considération le facteur temps. Pourtant, dit-on, « Le temps n’est pas seulement le seul véritable ennemi de l’homme, c’est également et surtout son ennemi le plus sournois, le plus lâche et, bien sûr, le seul que l’on n’ait pas la moindre chance de vaincre ».
Il serait dommage de gâcher tout l’espoir qui a brusquement refait surface. Il ne faut pas que l’explosion de joie manifestée le soir du dimanche 25 juillet se transforme en questionnement, en doute. Les Tunisiens qui ont rapidement repris un soupçon de confiance sont encore dans l’expectative. Ils ont senti qu’ils se sont débarrassés d’un lourd fardeau, mais ils ne savent pas toujours ce qui les attend.
Pourtant les choses ont bien commencé, ce qui fait défaut c’est la vision. On s’est focalisé ces derniers jours plus sur les responsables congédiés, les députés objet de poursuites, les hauts cadres soupçonnés de trafic d’influence et les hommes d’affaires corrompus ou pour reprendre l’expression en vogue qui ont pillé la Tunisie. L’avenir, l’après 25 juillet, reste une zone d’ombre, entouré d’un épais brouillard.
Pourtant Ce que Kaïs Saïd a fait le 25 juillet 2021 relève du miracle. Il a réussi à secouer une classe politique qui pensait jusqu’ici, tirer profit du statut quo en croyant que dans le contexte actuel rien ne pourrait venir perturber leur sérénité. Ni la constitution qu’ils ont cru façonner à leur mesure, ni les institutions qu’ils sont parvenus à paralyser, ni les tunisiens qu’ils ont trahis. Ils n’ont pas tenu compte de la colère de la rue, de l’exaspération des citoyens et de leur frustration. En actionnant l’article 80 de la constitution Saïd a provoqué un électrochoc. Son entreprise a très vite trouvé un répondant chez des tunisiens qui se sont sentis abusés par un système devenu au fil du temps responsable de leur désillusion souffrances et malheurs.
Les décisions annoncées par le président Saïd tard dans la soirée, le jour de célébration de la fête de la république, ont constitué un tournant pour certains, un virage grave pour d’autres.
Ces décisions considérées par Ennahdha et ses alliés, pris de court, comme un putsch, un signal d’un retour à un autoritarisme, à une accaparation de tous les pouvoirs, ont eu quand même le mérite de faire bouger les choses, de secouer le cocotier et de mettre la classe politique, premier responsable du pourrissement de la situation dans le pays, devant une situation inédite, un fait accompli.
Plus de onze ans perdus pour rien, des espoirs déçus, de désillusions et de dérapages d’une classe politique qui s’est agrippée au pouvoir pour se servir non pour présenter aux tunisiens une alternative.
Aujourd’hui, Kaïs Saïd est appelé par tous, tunisiens et partenaires étrangers, à rabattre ses cartes, à présenter une vision et un programme susceptibles de sauver le pays d’un naufrage que certains voient inévitable.
Pour enclencher une dynamique vertueuse, restaurer la confiance, remettre de l’ordre dans les affaires du pays et, également, préserver les institutions et renforcer les fondements de cette jeune démocratie, il est appelé à préciser les axes de la nouvelle gouvernance qu’il compte mettre en œuvre. Une gouvernance qui tienne compte des attentes des Tunisiens et de leurs ambitions les plus légitimes
Ce qu’on attend le plus de Saïd est d’agir vite et dans le bon sens, présenter une alternative crédible, une feuille de route qui permette de distiller un message d’espoir et de confiance. On attend de lui de permettre aux institutions de se remettre au travail, d’engager des réformes essentielles et douloureuses. De choisir un gouvernement de compétence qui aura pour mission essentielle d’assurer le sauvetage du pays.
En effet, Kaïs Saïd sera jugé sur sa façon de gérer cette période transitoire qui ne devrait pas s’inscrire dans la durée ni aboutir à une concentration des pouvoirs, et encore moins à un retour à l’arbitraire.
On le jugera, enfin, sur la qualité des personnes qu’il choisira pour gérer cette nouvelle étape pour changer réellement la donne. Pour cela il est appelé à donner le bon tempo, ne pas attendre et, surtout, ne pas se tromper ni hésiter.