Face à une situation politique, sanitaire, économique et sociale ubuesque, est-ce bien le bon moment choisi par le Président Kaies Saied pour orienter le débat public sur la réforme du code électoral, la révision de la constitution de 2014, plaider, à fortiori, pour le retour à la constitution de 1959 moyennant quelques amendements ou ergoter sur le blocage du système politique pour justifier l’organisation d’un référendum ?
Curieusement, au moment où le pays est frappé par un véritable tsunami sanitaire et la pandémie du COVID-19 fait des ravages un peu partout et où les structures hospitalières sont au bord de la rupture, l’on peut se demander si le président de la république n’avait pas fait faux bond ? Dans tous les cas de figure, en multipliant les contacts avec des figures politiques de tous bords et en focalisant l’attention, en ce moment très délicat que traverse le pays, sur des questions qui lui sont chères, le président de la république semble une fois de plus marcher en sens inverse des aiguilles d’une montre.
Manifestement, son discours ne tient pas compte du contexte actuel, et semble obéir plutôt à des considérations personnelles, voire électoralistes.
Dans cette période de grande détresse, que vivent de nombreuses régions, condamnées à un reconfinement sévère et où, aussi bien, les habitants que le personnel soignant, se sentent frustrés, lâchés et vivent une sorte d’incapacité paralysante, on attendait du président une tout autre chose. On s’attendait à un message fort, à un engagement clair pour dissiper les craintes des tunisiens et leur peur, apaiser les tensions qui ont bloqué les institutions du pays, altéré l’image du pays et la confiance des tunisiens, en vain.
Le président rassembleur, celui qui est censé donner le bon tempo, qui montre la voie à suivre, tarde à se manifester, à jouer ce rôle précis. En lieu et place, on a eu à subir un discours, ou plutôt, un monologue parfois indéchiffrable, qui n’interpelle qu’une minorité de politiciens et qui est complètement décalé de la réalité et des priorités les plus pressantes.
Pas de dialogue national salvateur, aucune volonté manifestée depuis maintenant plus de six mois à résoudre le conflit larvé qui oppose les trois têtes du pouvoir, pas de trêve politique ni sociale en perspective. Toutes ces questions, qui sont au cœur même des intérêts des tunisiens, de leur avenir et de leur vécu quotidien, ne sont approchés qu’accessoirement, indirectement et parfois utilisées comme un leitmotiv pour perpétuer les désaccords, les frictions et l’incompréhension.
En pleine crise sanitaire, qu’a le président de la république entrepris ? Tout en tournant le dos à tous les sujets chauds, tels que la crise sanitaire, financière, les réformes à mettre en œuvre pour éviter au pays un effondrement total de son économie, les actions à diligenter pour apaiser les tensions sociales qui sont à l’origine de la ruine des entreprises publiques, il a multiplié les contacts à l’effet de trouver des solutions urgentes au dysfonctionnement du système politique, aux anachronismes de la loi électorale et de la constitution de 2014 !
Ce qui a étonné le plus, c’est bien la qualité des personnalités reçues. Trois anciens premiers ministres, dont la gestion des affaires du pays a été le moins qu’on puisse dire calamiteuse, ont été consultés pour présenter des pistes de sortie de crise. Etonnant !
Une figure controversée, ancien d’Ennahdha, Lotfi Zitoun et une ancienne figure de la gauche qui a piloté la campagne du président de la République, Ridga Chiheb Mekki, ont eu le même honneur.
Ce qui a davantage surpris en cette circonstance, c’est le message que le président a tenu à distiller qu’il s’agisse de la constitution ou du système politique à l’origine de son accession à la magistrature suprême.
Dans le contexte actuel, ses propos désorientent, soutenant clairement que la Constitution de 2014 a prouvé qu’elle n’était pas adaptée au contexte actuel et soulignant « qu’aujourd’hui, nous sommes passés du parti unique au lobby unique… rappelant, au passage, que la Révolution a eu lieu …. pour que le peuple prenne le pouvoir » ! A l’heure où le pays vit une véritable tragédie liée au covid-19, changer le système est-il la priorité des priorités ? Où peut mener cet argumentaire, que très peu arrivent à déchiffrer ou saisir la portée, le vrai sens ?