Il n’est pas sans raisons que le prix Nobel d’économie Jean Tyrole soutient qu’une « Une démocratie sans experts court à la catastrophe car elle laisse le champ libre à tous les populismes ». Dix ans après, la jeune démocratie tunisienne se trouve paradoxalement dans une voie sans issue. Inachevée et en panne, elle peine à retrouver un souffle salvateur, notamment sur le plan économique où depuis janvier 2011 la situation n’a fait qu’empirer et les indicateurs de virer au rouge.
Plus que jamais le pays a besoin aujourd’hui d’un véritable choc de confiance pour arrêter cette spirale infernale, cette descente inexorable vers l’inconnue. Une thérapie de choc qui implique un Etat fort, un consensus national et une propension à conduire les réformes essentielles avec détermination et sans la moindre hésitation. Une thérapie qui ne pourrait donner ses pleins effets qu’avec une vision claire, des choix précis, un engagement sans faille de tous les partenaires et l’existence d’une administration forte et transparente. A l’évidence la conduite du changement, longtemps resté un vœux pieux, exige des pouvoirs publics capables de convaincre, des partenaires sociaux conscients des enjeux et défis auxquels le pays fait face et des citoyens disposés à consentir des sacrifices. Dans l’état actuel des choses, ces conditions sont loin d’être satisfaites et la perception des défis ne fait l’objet d’un quelconque consensus, ni d’un dialogue serein et apaisé. Pourtant, au regard de la situation économique et sociale particulièrement difficile, dont les effets ont été aggravés par le grave impact du COVID-19 il n’existe aucune autre piste de sortie de crise que celle qui tienne compte de ces impératifs.
Il faut avouer qu’en dix ans, rien n’a été fait ou presque pour relancer l’économie du pays sur des bases à la fois solides et saines. Par la faute de tous, la croissance a été aux abonnés absents, les difficultés financières se sont exacerbées et les tensions sociales accentuées. La crise des finances publiques, le déficit des entreprises publiques et la perturbation de l’activité des secteurs porteurs sont là pour rappeler que les gouvernements qui se sont succédé en cette période de tensions extrêmes se sont contentés de jouer le rôle de pompiers. Ils n’ont fait que céder aux pressions, opter pour des mauvais arrangements, participant, par leur amateurisme, au blocage du système productif tout en se montrant incapables de proposer des choix alternatifs, des solutions concrètes ou tout le moins de concevoir un modèle de développement consensuel et réalisable. A la faveur de l’inertie et de l’attentisme ambiant, la plupart des indicateurs poussent à questionnement lancinant. Quels remèdes possible à un taux de croissance de 1,5% de 2011 à 2019, à l’aggravation des déficits jumeaux (budgétaire et commercial), un endettement public qui se rapproche du taux fatidique de 100% , un niveau d’épargne qui s’est réduit comme une peau de chagrin (9%)et un taux d’investissement très bas (18%) ?
Ce qui inquiète le plus c’est qu’aujourd’hui le pays peine à regagner la confiance des investisseurs et même des tunisiens. Le gouvernement de Hichem Mechichi, formé en septembre dernier dans la douleur, est miné par le doute et sa marge de manœuvre est très réduite. Sa capacité à améliorer les perspectives budgétaires, à engager les réformes structurelles visant à améliorer les performances des entreprises publiques, à accroître la contestabilité des marchés et à lutter contre une corruption endémique est incertaine dans le contexte actuel dominé par la suspicion et les luttes politiciennes interminables et improductives.
Nejib Ouerghi