Dans un mouvement de colère manifeste, le Président de la république a décidé, ce lundi 30 mai, de renvoyer tous les membres de la Commission de Venise présents sur le territoire et menacé de quitter cette structure du Conseil de l’Europe.
A l’origine de la colère présidentielle, le rapport de la délégation qui critique le décret-loi n°2022-22 amendant et complétant la loi organique n°23 sur l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE).
Certes, le Président de la république agit en toute légalité. C’est son droit -et son devoir- de défendre la souveraineté nationale quand elle est atteinte ou menacée. La question qui se pose néanmoins, notre souveraineté a-t-elle été atteinte pour que le Président de la république réagisse avec autant de fermeté voire d’impulsivité, mettant ainsi à mal une tradition diplomatique nationale tout en retenue et modération?
Pourquoi donc autant d’emportement? Alors que cette Commission de Venise, invitée par la Tunise du fait que notre pays y siège en tant que membre depuis 2006 , n’a qu’un avis non contraignant. D’autre part, la Commission de Venise, devenue, d’autre part, depuis la chute de l’Empire soviètique, le symbole de la démocratie par le Droit, cette Commission crédite la Tunisie d’une réussite exemplaire dans la région.
Cet emportement présidentiel, s’il flatte momentanément la « fierté nationale », risque d’aboutir à des résultats contraires à moyen, voire à court terme. D’abord en raison de la place prépondérante qu’occupe cette Commission au sein du Conseil de l’Europe et son rayonnement international. Organisation inter-gouvernementale de poid, faut-il donc le rappeler, le Conseil de l’Europe réunit 46 États membres. Il est lié à la Tunisie par une Politique de voisinage qui a connu un développement incessant.
Plus important encore, tous les 28 pays membres constituant l’Union européenne(UE)font partie du Conseil de l’Europe, d’où le lien organique entre ces institutions. Aussi, s’attaquer à la Commission de Venise, c’est d’abord s’attaquer au gardien des valeurs de la démocratie et de l’Etat de droit qu’est le Conseil de l’Europe, et par voie de conséquence, à notre premier partenaire et créancier incarné par l’Union européenne.
Face à cette réalité têtue, le Président avait-il intérêt à laisser aller sa colère aussi justifiée soit elle?
Oui, car il est ainsi dans la cohérence en maintenant un cap et en faisant usage des moyens qui lui sont nécessaires. Le Cap étant le retour d’un régime présidentialiste qui ne fait plus désormais aucun doute. Quant aux moyens, c’est le même discours à résonance populiste et l’usage des vocables tranchées avec en arrière-plan les mesures exceptionnelles, la dissolution du Parlement, la dissolution du Conseil supérieur de la magistrature et, last but not least, la restructuration de l’ISIE.
Non. Car le Président ne devrait pas traiter les affaires de l’Etat avec emballement et si peu de recul sur les conséquences que ses gestes et paroles pourraient entraîner. La Tunisie est un pays qui compte de grandes traditions diplomatiques et une pratique de la relation avec l’autre fondée sur la pondération, la retenue sans bien entendu transiger sur des principes fondamentaux de la souveraineté et de l’indépendance. La Tunisie n’est la propriété de personne et elle appartient aux tunisiens d’aujourd’hui et aux tunisiens de demain qui ne devraient pas avoir à souffrir des dérapages de leurs aînés.
En effet les tunisiens ne devraient pas avoir à souffrir des ambitions d’un seul homme, qui semble se confondre avec sa qualité de Chef de l’Etat. Et taille le costume de la fonction présidentielle à sa mesure. Ses rêves, ses ambitions, ses envies deviennent ceux de tous les tunisiens. Et balaie par des harcèlements judiciaires tous ses détracteurs.
Le Président, dont les desseins politiques sont aujourd’hui évidents, est sur la dernière ligne droite pour aboutir à son projet, l’impatience et peut être l’excitation d’arriver à terme lui ont ôté la sagesse et le discernement que le peuple attend de lui. Kais Saied ne cesse de réclamer le régime présidentialiste. Pourtant il ne rassemble pas, ne construit pas, ne prévoit pas. Enfermé dans sa tour d’ivoire carthaginoise, il ignore les réalités de chômage, inflation, perte du pouvoir d’achat… Conséquences non calculées . Et comme l’Histoire tunisienne contemporaine l’a toujours prouvé, c’est l’économie qui est souveraine en Tunisie.