Le dialogue national que l’UGTT et la présidence de la république se sont mises à préparer sera-t-il, une fois encore, salvateur de cette jeune démocratie en péril ? Manifestement 2021 diffère beaucoup de la situation qu’avait connu le pays en 2013. Il y a presque dix ans, acteurs politiques, société civile et forces sociales ont uni leurs forces pour préserver la civilité de l’Etat tunisien, les fondements du régime républicain et éviter au pays un dérapage incontrôlable. Le dialogue initié à l’époque a permis de dégager un consensus national, mis fin à une longue et éprouvante transition et a ouvert la voie à des élections libres, transparentes et démocratiques.
En 2021 le pays se trouve confronté à un grand dilemme, des défis existentiels, des dissensions ingérables d’une classe politique habitée par une tentation dévorante d’accaparation du pouvoir, des difficultés économiques insoutenables et des tensions sociales porteuses des germes de la division. Hormis les incohérences de la classe politique, de l’effritement des pouvoirs entre trois têtes inconciliables tournant le dos à toute cohabitation et à tout compromis, c’est la crise économique et sociale qui risque, cette fois-ci, de tout compromettre et de précipiter le pays dans l’anarchie.
Au bout de dix ans de gouvernance approximative des affaires du pays, c’est le règne de l’improvisation qui a pris le pli sur toute autre chose. Au moment où les pressions n’ont fait que s’accentuer et les difficultés gagner en profondeur, le pays ne s’est accordé aucun répit pour susciter une profonde réflexion, un véritable débat public sur les grandes réformes à entreprendre ou le modèle de développement à promouvoir. Hommes politiques, organisations sociales et élites ont préféré, dans une sorte d’insoutenable légèreté, la fuite en avant, occultant les vrais problèmes en versant dans des guéguerres improductives et interminables.
Fatalement, l’absence d’un consensus sur tous les dossiers qui déterminent l’avenir du pays et la réussite de son expérience inédite sont à l’origine du profond malaise que nous vivons actuellement et de l’ambiance délétère qui sévit. L’absence, également, de vision stratégique et, surtout, l’abandon du rôle de l’Etat stratège. En délaissant cet instrument qui a toujours fait ses preuves, le pays a sombré dans les choix hâtifs. Pourtant, l’instrument de plan a toujours été un exercice d’une extrême importance, une référence utile et un document qui a souvent recueilli l’assentiment des régions, des secteurs et des populations, permettant au pays d’avancer, de prévoir et d’engager des programmes en phase avec les besoins du pays, des régions et des secteurs. Or, malheureusement, le dialogue national qu’on prône pour sauver le pays d’un désastre annoncé, les conditions posées pour son organisation et les recommandations qui s’en sortiront, n’augurent rien de bon. Dans l’état actuel des choses il est loin d’être la panacée, la piste la plus sûre pour épargner au pays l’irréparable.
Aujourd’hui, au regard des contractions douloureuses qui accompagnent la mise en route de ce processus, le doute l’emporte sur l’optimisme. Il est nourri par le climat de suspicion et les préalables posés qui suscitent plus de questionnement que d’adhésion spontanée, de dissensions plutôt qu’une union de toutes les forces du pays, un certain malaise en lieu et place d’une ambition commune ou d’un espoir.
Dans un tel climat, pourrait-on espérer des représentants de la sphère politique, économique, sociale et des jeunes, qui seront triés sur le volet, de concevoir des solutions qui offrent réellement des pistes de sortie de crise, un consensus large, une confiance retrouvée et un moyen efficace pour apaiser les tensions et remettre le pays sur la bonne trajectoire ?
Au moment où tout le monde connait les bons palliatifs et les voies les plus à même de rompre avec des errements préjudiciables, on est confronté à la persistance du laxisme, d’un discours inaudible et difficilement déchiffrable; un discours annonciateur de choix clivant, de pistes glissantes, de profonds désaccords en fixant des lignes rouges et de nombreux interdits.