Qu’est ce qui peut être le pire ennemi du prestige de l’Etat ? Hormis l’incompétence, ce sont certainement l’hésitation et l’incapacité de prendre les bonnes décisions, de les appliquer et de les assumer pleinement. La succession d’événements et de ratés depuis l’annonce, le 7 mai dernier, de mesures décidées par le comité scientifique de lutte contre le covid-19 et entérinées, avec une insoutenable légèreté par le gouvernement Mechichi, a été une illustration parfaite de la déliquescence de l’état chez nous.
Des mesures qui se justifient pourtant par une volonté de briser la chaîne de propagation de la pandémie, qui est en train de faire des ravages risquant l’écroulement du système sanitaire national, en introduisant notamment des restrictions dans les déplacements entre les régions, ont abouti à l’inverse de ce qui est attendu.
Parce que prises à la va vite, perçues inopportunes et très tardives, elles n’ont pas été respectées ni appliquées à la lettre, voire même combattues par certaines corporations et corps de métiers durement affectés par les effets du COVID-19 et également par une majorité de citoyens frustrés.
La première raison de cet échec réside, à n’en point douter, dans une communication gouvernementale approximative, mauvaise, improvisée et mal conçue. Pour convaincre et produire l’effet escompté chez la population cible, il aurait fallu agir avec intelligence et une plus grande habileté. Moduler, par exemple, le discours, transmettre un message fort, présenter des arguments qui interpellent et qui permettent aux citoyens d’appréhender la gravité de la situation et les dangers qui peuvent découler de toute nonchalance et laxisme.
A cet effet, l’appel lancé par nos responsables aux tunisiens n’a pas été audible, parce qu’ils n’ont ni choisi le bon moment, ni le bon message, ni pris en considération la spécificité du contexte. En occultant ces facteurs objectifs, le gouvernement a dû ramer à contre courant se contentant de constater les dégâts sans pouvoir avoir une emprise sur une situation complexe et confuse. Après bien des atermoiements, il a pris des mesures restrictives à la veille de la fête de l’Aïd, sans qu’il soit en mesure de leur donner effectivité, c’est-à-dire d’empêcher qu’elles ne soient ignorées ou deviennent un prétexte pour des appels à la désobéissance civile.
Il a annoncé des mesures de confinement général à un moment crucial sans qu’elles soient accompagnées dans la foulée par des mesures d’accompagnement au profit des secteurs sinistrés qui n’ont pas fini de payer le tribut fort de cette crise sanitaire sans précédent.
Le couac, et c’est là où le gouvernement a péché par imprudence et un surcroît d’amateurisme, c’est que les mesures annoncées ont été révisées dans la même journée sous la pression et le niet qu’ils ont suscité presque partout. Il en est résulté une levée de bouclier générale et un refus d’obtempérer. Quand les pouvoirs publics ne donnent pas l’exemple, quand ils hésitent, quand ils cèdent et quand ils font montre de beaucoup de laxisme, ils se trouvent confrontés à leurs propres contradictions, à leur impuissance… Ils se trouvent en même temps obligés à procéder à des rafistolages douloureux et à des contre-mesures improductives qui altèrent leur crédibilité et tout le sérieux de l’action qu’ils sont censés piloter.
En faisant machine arrière, le gouvernement a avoué son impuissance. Sa volte face a été l’accélérateur de la désobéissance de la majorité des corps de métier et du ras le bol des populations prises au piège des contradictions et des approximations.
Quelle crédibilité pourrait avoir un gouvernement chez l’opinion publique en annonçant la mesure et son contraire ?
Quel crédit pourraient les partenaires de la Tunisie donner à des pouvoirs qui continuent à s’écharper et d’étaler leur linge sale au grand jour ?
A l’évidence, la crédibilité d’un gouvernement se mesure à l’aune de la vigueur de l’action qu’il entreprend, de la qualité des réformes qu’il engage, de l’adhésion volontaire des citoyens aux stratégies qu’il met en œuvre et de la confiance accordée à ses dirigeants.
S’agissant de la gestion de la pandémie covid- 19 en Tunisie, la confiance dans le gouvernement a été entamée et le public, lassé de discours discordants, des soubresauts d’une crise politique sans fin, de problèmes économiques insolvables et de tensions sociales récurrentes, ne croit plus à tout ce qu’on lui présente. Il y a certes un problème de communication gouvernementale défaillant, mais il y a surtout, un amateurisme dans la gestion des affaires publiques qui a creusé le fossé de la suspicion et du manque de confiance. Un gouvernement fragile, en sursis, qui ne dispose, à proprement parler, d’une feuille de route claire, d’une autorité qui lui permet d’imposer la loi et le droit, un gouvernement qui communique mal, qui gère mal les situations de crise, pourrait-il dans ces conditions inverser les vapeurs en sa faveur ? il faudrait, peut-être, un miracle pour que cela se produise