La Chakchouka fait partie des plats emblématiques de notre pays, des ingrédients (tomates, oignons, poivrons, œufs, huile d’olive…) simples, locaux, abordables -plus tellement de nos jours-. et qui donnent lieu à un met nourrissant, convivial, qui plait aussi bien aux adultes, qu’aux enfants. La chakchouka, de par sa popularité, son nom atypique mais aussi par son manque d’élaboration a donné lieu à une métaphore ancrée dans la conscience collective de « grand n’importe » ou encore « fourre-tout », une image qui sied assez bien à l’état de la politique dans notre pays aujourd’hui.
Vendredi 20 mai, le Président de la République a décrété une commission consultative qui aura pour but de présenter un projet de constitution pour une nouvelle République dans le respect des principes et objectifs de l’article 22 du décret 117, et des résultats de la consultation nationale. Selon le décret présidentiel paru dans le Jort de vendredi, la commission est répartie en trois structures : un comité consultatif des affaires économiques et sociales composé de représentants de l’UGTT, de l’Utica, de l’Utap, de l’UNFT et de la LTDH à sa tête le bâtonnier Bouderbala , un comité consultatif des affaires juridiques composé des doyens des facultés de droit, des sciences juridiques et politiques et présidé par le membre le plus âgé, et un comité du dialogue national composé des membres des deux comités précédents et présidé par le président coordinateur de la commission nationale consultative, le doyen Sadok Belaïd.
Une exclusion claire et nette des partis politiques, et donc de la pluralité des opinions, et autrement dit, de la démocratie… Et pour couronner le tout, des têtes d’affiches aux compétences discutables, sachant que Bouderbala a trouvé judicieux de comparer ses responsabilités socio-économiques au sein de cette commission à la gestion de ses deniers personnels. Finalement ne serions nous pas en train d’assister à ce qu’implique un régime autoritaire? La constitution d’un clan qui obtient l’adoubement présidentiel en échange de son soutien indéfectible et au détriment de réelles compétences?
Mais cette commission consultative n’est qu’un ingrédient dans cette chakchouka politique, l’opposition n’est pas en reste dans l’absurde. Les démocrates se divisent en plusieurs coalitions: Attayar, Al Joumhouri, Attakatel font cavalier seul, Afek Tounes s’oppose mais ne collabore avec personne. Le Parti destourien libre et sa meneuse, victorieux selon les sondages en cas d’élections législatives anticipées, guerroie sur plusieurs fronts, en sit-in devant les l’Union des Oulémas et attaques envers Kais Saied dans les discours de Abir Moussi mais aucun programme politique affiché. Le Front de Salut national, avec aux commandes Ahmed Nejib Chebbi, peut compter sur le soutien important d’Ennahdha mais est finalement freiné par ce même soutien au niveau des ralliements. Quant à la gauche, une partie a rejoint les rangs du Président et l’autre… on ne sait pas vraiment. Enfin l’UGTT, reste floue, dans ses discours elle dénonce les dernières initiatives présidentielles mais à cet instant le secrétaire général, Noureddine Taboubi, du plus puissant des syndicats est reçu par le Chef de l’Etat.
En politique, l’adage « diviser pour mieux régner » est connu de tous, il est le sel de toutes les batailles pour le pouvoir mais il serait malhonnête de porter cette responsabilité à Kais Saied. Depuis la révolution en 2011, un chantier est toujours ouvert en Tunisie, malgré quelques tentatives, comme celle pour laquelle nous avons reçu le prix Nobel de la Paix en 2014, celui de la « Réconciliation Nationale ». Sans elle, la Tunisie est condamnée à une chakchouka au goût amère de défaite.